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Singularité : la clé pour s’émanciper

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Singularité : la clé pour s’émanciper

Je suis née en 1968. J’ai toujours appréhendé cette année comme révélatrice d’un trait de mon caractère : se révolter contre la coercition et les allants de soi. Lorsque j’ai repris un cursus universitaire en 2007, en licence Sciences de l’éducation, j’ai vécu cette expérience comme une nouvelle naissance. Un nouveau départ. Une nouvelle chance. J’ai voulu alors en savoir plus sur ce qui motive à apprendre tout au long de la vie, sur ce qui aide à se construire, grandir, avancer, se remettre en cause pour ouvrir de nouvelles fenêtres, s’ouvrir à d’autres horizons. Démarrer une thèse sur le thème de l’émancipation et l’épanouissement de soi, c’était donc aussi plancher sur mon histoire de vie.

Oser ce pas de côté sans tomber dans la marginalité

Lorsque j’ai découvert le travail sur la singularité, mené par la journaliste Anne Eveillard et le photographe Bruno Comtesse, j’y ai vu des liens avec les recherches entreprises dans le cadre de ma thèse. Notamment concernant la quête de certains quant à une « identité singulière ». D’aucuns veulent, en effet, prendre du recul par rapport aux rôles que la société leur impose. Ils aspirent à une certaine distance. Mais comment faire pour oser ce pas de côté sans pour autant tomber, voire sombrer dans la marginalité ? Comment rester à l’intérieur du cercle tout en prônant le contre-courant ? C’est cette approche de la distinction, de la différenciation et de la reconnaissance que j’ai retrouvée dans les portraits brossés par Anne Eveillard et Bruno Comtesse –je pense, par exemple, aux parcours de Philippe Colin-Olivier, Christophe Ernault, Valérie Texier, Christian Ghion, Cécile Huguenin...-.

Pourquoi certains sortent du rang et pas d’autres ?

Chacun avance, progresse, évolue, en apprenant, en testant, en expérimentant. Mais, au quotidien, peu s’y risquent encore. D’ailleurs, dans le déroulé de ma thèse, je pose la question : pourquoi certains sortent du rang et pas d’autres ? Pourquoi certains se libèrent d’un « conditionnement », voire de l’« aliénation » dont parlait Marx, et pas d’autres ? Sans doute parce qu’ils n’ont pas peur de se détacher du groupe. Ce qui est le cas des « être(s) singulier(s) » choisis par le duo Eveillard-Comtesse. Au moment même où ces personnalités s’affranchissent du groupe, elles se singularisent et se trouvent confrontées à une solitude intérieure : car tous, même leurs proches, les dissuadent de sortir du rang. On accompagne rarement ceux qui franchissent la ligne jaune. On les en dissuade plutôt. Car la prise de risque fait peur. Mais pour combien de temps encore ? Car, aujourd’hui, la singularité s’apparente à un véritable facteur d’émancipation. Et pour cause : celle-ci répond à un besoin de se différencier et d’acquérir une forme de liberté d’agir.

La singularité comme une nouvelle norme sociale

Le phénomène de la singularité devient, en effet, une réalité perçue comme une qualité, un savoir-être de l’ère de l’hypermodernité. L’individu en quête de singularité transforme le monde autant qu’il s’individualise. Il prend l’initiative d’aller vers une créativité et au lieu de s’identifier au monde, il l’identifie à ce qu’il est. Si la singularité a pu être une forme de résistance par le passé, aujourd’hui elle tend vers l’injonction. On pousse les individus à la singularité, car celle-ci rend plus inventif, plus audacieux. D’aucuns projettent même la singularité comme une nouvelle norme sociale. Reste à savoir si « norme » et « singularité » peuvent faire bon ménage.

* Sandrine Deulceux est enseignante et auteur de la thèse « S’émanciper pour s’épanouir tout au long de la vie : épreuve ou défi? » (Université Paris 12, année universitaire 2014-2015)

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